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Transatlantic Blog

« Conseils pour une culture chrétienne de la raison et de la foi: entretien avec Chantal Delsol »

    Le 11 décembre 2019, Michael Severance, responsable du bureau de l'Institut Acton de Rome, a réalisé une interview avec le professeur Chantal Delsol, philosophe, historienne politique et romancière française bien connue du grand public  Au cours de l'entretien, celle-ci a réfléchi aux actuels penchants culturels occidentaux pour le relativisme, l'égoïsme et pour un monde imaginaire qui ressusciterait les mythes païens tout en défiant ouvertement le réalisme de la tradition de la foi chrétienne.  “Je crois à l’ardeur des jeunes chrétiens et des jeunes familles, à la vivacité créatrice des monastères, à l’enthousiasme des intellectuels chrétien qui se retrouvent d’un pays à l’autre. Je crois au sel de la terre. Je crois que nous avons besoin d’une cure d’humilité” a-t-elle déclaré.

    Chantal Delsol.

    MICHAEL SEVERANCE – INSTITUT ACTON:  Professeur Delsol, ce fut un réel plaisir de vous rencontrer le mois dernier à Rome lors de la conférence consacrée aux fondements de la société chrétienne d'Europe occidentale. Vous avez expliqué que le fondement immuable du christianisme et de sa culture morale et juridique résidait dans la véritable personne historique qu'est Jésus Christ. Notre boussole morale occidentale et notre culture de l'État de droit sont tirées de l'exemple parfait de Jésus Christ, dont la vie morale constitue un modèle pour toute l'humanité.

    Vous avez affirmé que les lois et la morale d'aujourd'hui ne découlaient plus du christianisme, en particulier dans la France laïque d'aujourd'hui. Si dans la France d’aujourd'hui, les lois et la culture morale ne sont plus fondées sur le christianisme, de quoi s'inspirent-elles donc ?

     CHANTAL DELSOL: Pour l’Etat de droit, ce n’est pas exactement cela. Les démocraties modernes occidentales proviennent de l’idée judéo-chrétienne d’un Dieu qui confère à l’homme la liberté. Le Christ est un modèle, oui, mais Bouddha est aussi un modèle… La construction judéo-chrétienne donne ce concept très particulier qu’est celui de “personne” : chacun est un acteur et un auteur de sa propre vie. D’où les régimes libres.

    Ne s’inspirant plus du christianisme, les lois et la morale d’aujourd’hui s’inspirent en grande partie du paganisme qui réapparait tout seul au moment du déclin du christianisme. La plupart de nos lois morales existaient avant le christianisme : par exemple le divorce, ou l’IVG. Certaines de nos lois sont plutôt clairement nihilistes, c’est-à-dire qu’elles n’ont jamais existé auparavant et proviennent d’une volonté de déconstruction : le mariage homosexuel (un seul cas dans l’histoire : le mariage de Néron avec son mignon), les lois transgenres.

    SEVERANCEAinsi, si l’on assiste à un changement radical dans la culture européenne, loin de la "raison ordonnée" – un logos ordonné vers la recherche et la réalisation du plan de Dieu pour la nature humaine – que devra-t-il se produire pour un "retour" du chrétien dans notre culture? Un autre homme fort tel que Théodose, qui a interdit les temples païens de l'Empire romain ?

    DELSOL: Théodose a pu exister parce que le christianisme se trouvait en position de conquête et le paganisme en position de déclin. Imaginons un Théodose aujourd’hui, il serait combattu unanimement comme un despote. Je ne crois pas à un retour de la chrétienté, à moins de bouleversements énormes dont nous n’avons pas idée. Dans l’état actuel des choses, il nous faut plutôt considérer que nous autres Chrétiens allons devenir des minorités, et n’aurons plus la haute main sur le pouvoir et les lois. Ce n’est pas un désavantage. Le christianisme devenu minoritaire pourra être plus vivace et plus intelligent.

    SEVERANCEIl est très intéressant que vous ayez observé que le Christ était venu remplacer les mythes païens par ses vérités. Or de nos jours, les chrétiens eux-mêmes remplacent les vérités du Christ par des mythes anciens. On assiste à une véritable renaissance de la culture païenne. Qu'est-ce qui, dans la nature humaine, tend à favoriser la répétition des inclinaisons vers le « mythe païen » et donc le « retour à un monde imaginaire » ? 

    DELSOL: La création des mythes représente la culture vivante et immémoriale de l’humanité. Toutes les civilisations créent leurs mythes, et c’est la culture de la vérité (les anciens Grecs, les Juifs et les Chrétiens) qui est une exception. Les humains créent leurs mythes pour donner sens aux grandes questions qui se posent à nous : la vie et la mort, le temps, la souffrance etc. Cela n’a pas d’importance que ce monde des mythes soit imaginaire, l’essentiel est qu’il donne du sens à l’existence humaine, si angoissante. Regardez le plus ancien mythe connu : Gilgamesh – il donne du sens à l’amitié et à la mort, qui sont deux grands pôles de notre vie. Il faut insister pour dire que les mythes généralement suffisent à notre vie – cependant ils sont idiosyncrasiques tandis que la vérité est universelle : Ulysse est un récit grec inventé par et pour les Grecs, le Christ, personne véritable, est vrai pour la terre entière.

    SEVERANCE:  Selon vous, quel(s) philosophe(s) moderne(s) a semé les premières graines du doute quant à la légitimité de la raison chrétienne, à la compréhension chrétienne du droit et de l'ordre moral ?

    DELSOL: C’est très difficile de répondre parce que la religion chrétienne étant enracinée dans la liberté, elle crée le doute sur elle-même à mesure qu’elle avance. On pourrait dater déjà du début de la Renaissance (de Guillaume d’Occam à Montaigne) les débuts de la déstabilisation, qui ne fait que s’accélérer ensuite jusqu’au XVIII° siècle, moment de bascule. Les mises en cause de l’ordre moral, que nous voyons triompher aujourd’hui, sont anciennes. Les révolutionnaires de 89 avaient légitimé le divorce, qui a été supprimé plus tard, puis à nouveau légalisé. On voit le temps qu’il faut pour mettre en cause un paradigme de civilisation. Mais il y a une volonté profonde, et tenace, de la part de ce qu’on appelle la modernité. C’est pourquoi je ne crois pas aux allées et venues, ni que cela reviendrait si facilement, à la faveur d’un bienheureux hasard.

    SEVERANCE:  Une dernière question. Quel serait votre message d'espoir aujourd’hui ? Peut-il y avoir une grande réforme culturelle qui viendrait à nouveau renforcer la confiance des Européens occidentaux dans le fait qu'il existe un ordre moral rationnel et qu'il peut être connu et vécu par tous ? Si oui, à quoi ressemblerait une telle réforme aux niveaux éducatif et ecclésial de la culture européenne ? 

    DELSOL: Je ne crois pas à de grandes réformes chrétiennes. Je crois à l’ardeur des jeunes chrétiens et des jeunes familles, à la vivacité créatrice des monastères, à l’enthousiasme des intellectuels chrétiens qui se retrouvent d’un pays à l’autre. Je crois au sel de la terre. Je crois que nous avons besoin d’une cure d’humilité.

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    Michael Severance earned his B.A. in philosophy and humane letters from the University of San Francisco, where he also studied at the university's St. Ignatius Institute, a great books program.  He then pursued his linguistic studies in Salamanca, Spain where he obtained his Advanced Diploma in Spanish from Spain's Ministry of Education before obtaining his M.A. in Philosophy and Modern Languages from the University of Oxford.  While living in Italy, Michael has worked in various professional capacities in religious journalism, public relations, marketing, fundraising, as well as property redevelopment and management.  As Istituto Acton's Operations Manager, Michael is responsible for helping to organize international conferences, increase private funding, as well as expand networking opportunities and relations among European businesses, media and religious communities, while managing the day-to-day operations of the Rome office.