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Transatlantic Blog

L’arrêt de la Cour suprême sur les transsexuels porte atteinte à l’état de droit

    Traduit de l’américain par Benoît H. Perrin ("The Supreme Court's transgender ruling undermines the rule of law").

    L’arrêt « Bostock contre Clayton County » est la première décision de la Cour suprême des États-Unis qui aborde directement la question des droits des transsexuels. L’enjeu est de déterminer la signification du mot « sexe » dans le Civil Rights Act de 1964 et, plus précisément, si le mot « sexe » englobe l’orientation sexuelle, ainsi que l’identité de genre (gender identity) et son expression (gender expression). Au-delà des questions politiques, la Cour suprême a une fois de plus fait preuve d’un enthousiasme troublant pour promulguer des lois sans l’approbation du Congrès ni la signature du président. Sous la direction du juge Neil Gorsuch, la majorité de la Cour a ignoré les canons de l’interprétation des lois et des décennies d’histoire législative, pour donner à la loi un sens qui n’a jamais été voulu. Cette décision est célébrée par les militants comme la victoire qui leur avait toujours été refusée par le processus législatif, délibératif et démocratique. Mais c’est un coup dur pour la diversité authentique, pour la séparation des pouvoirs et pour l’état de droit.

    Les plaignants dans ces affaires sont notamment un employé transsexuel d’une entreprise de pompes funèbres, un instructeur de parachutisme homosexuel et un fonctionnaire homosexuel. Tous trois ont perdu leur emploi en raison de leur statut d’homosexuel ou de transsexuel et ont intenté un procès pour obtenir des dommages et intérêts, prétendant avoir été licenciés en raison de leur « sexe ». La Cour a décidé de combiner les trois affaires, et cette semaine, les Américains ont appris que sous le sens du texte du Civil Rights Act de 1964 se cache une définition étendue, qui était jusqu’alors inconnue.

    Les tours de passe-passe jurisprudentiels comme celui-ci sont bien trop fréquents. Dans la magistrale « opinion dissidente » qu’il a publiée, le juge Samuel Alito compare cette décision à un « bateau pirate naviguant sous pavillon textualiste ».

    Le cas le plus révélateur est celui de l’entreprise Harris Funeral Homes, qui a licencié un salarié transsexuel. Cet employé avait été embauché en tant qu’homme et portait au départ des vêtements masculins. Plus tard, il a décidé de s’habiller et de se présenter comme une femme. Gorsuch a constaté que dans ce cas, la décision de l’employeur était liée au sexe de l’employé. Un homme ne serait jamais licencié pour s’être habillé en homme. De même, une femme ne serait jamais licenciée pour s’être habillée en femme. Toute disparité serait inadmissible au regard de la loi. Gorsuch a cependant supposé que la réponse à la question « Qu’est-ce qu’une femme ? » était subjective. Jusqu’à très récemment, cette réponse était évidente et objective, et aurait presque certainement été considérée comme une « connaissance d’office », un concept du droit anglo-saxon qui admet comme preuves des faits de bon sens. La réponse fait maintenant l’objet d’un débat acharné.

    Cette décision comporte des implications importantes pour l’autodétermination démocratique de la nation américaine et les droits inaliénables des Américains. La Cour a certifié que la liberté religieuse n’a pas été prise en compte dans cette affaire, de sorte que ni la loi sur la restauration de la liberté religieuse (RFRA), ni les droits exclusifs des églises à consacrer leur propre clergé, tels que reconnus par la Cour dans l’affaire « Hosanna-Tabor Evangelical Lutheran Church & School contre EEOC », ne sont en péril. Il est cependant difficile de s’en remettre à cette déclaration, étant donné la facilité avec laquelle six juges ont sapé l’ordre constitutionnel et réécrit le Civil Rights Act de 1964.

    Ce qui reste cependant incertain, c’est la manière dont les femmes (ainsi que la société a traditionnellement compris cette catégorie) bénéficieront un jour d’une protection contre la discrimination dans le cadre de ce nouveau régime. Une personne de sexe masculin, mais qui se déclarerait femme, serait libre de participer à des compétitions sportives féminines, de demander l’admission dans un refuge pour femmes battues, ou d’avoir accès à des vestiaires et des toilettes réservés aux femmes. Comment peut-on exiger d’entendre la voix des femmes dans les conseils d’administration des entreprises ou de les voir représentées même à la Cour suprême si la seule condition préalable pour être une femme est une auto-déclaration complètement déconnectée de toute norme objective ? La diversité authentique, qui est déjà difficile à réaliser, vient de devenir encore plus fuyante.

    Le plus alarmant dans l’affaire Bostock, cependant, n’est pas ces implications, aussi graves soient-elles. L’aspect le plus dangereux de cette décision est le précédent de la réécriture flagrante de la loi. La constitution américaine confère le pouvoir législatif au Congrès. Les corps législatifs sont élus par les communautés et, plus que toute autre partie du gouvernement, ils sont très sensibles à la volonté populaire. Parmi les options disponibles, c’est au sein de la législature que les décisions politiques sont les plus productives et font le plus autorité, même si le processus lui-même est imparfait et corrompu par des intérêts particuliers et des politiciens souvent égoïstes. Or, comme le juge Alito le souligne dans son opinion dissidente, le Congrès a toujours indiqué que le « sexe » dans le Civil Rights Act de 1964 visait à protéger les personnes contre la discrimination fondée sur leur sexe biologique. La modération relative des différentes réponses politiques n’est pas appropriée. La loi ne soutient tout simplement pas l’arrêt Bostock, surtout à la lumière des preuves accablantes montrant que les promulgateurs légitimes de la loi étaient conscients que le « sexe » n’englobe pas et n’a jamais englobé l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Avec Gorsuch, l’opinion dominante de la Cour a ignoré la séparation claire des pouvoirs et revendiqué encore plus de terrain pour que les tribunaux façonnent la vie publique sans tenir compte du processus démocratique.

    Si la constitution américaine est la plus ancienne constitution écrite au monde, c’est en grande partie du fait qu’elle a donné au peuple un contrôle démocratique sur des pouvoirs publics séparés et équilibrés. Alors que les structures constitutionnelles du système n’ont cessé de s’éroder, le système a cultivé une société stable avec des lois et des processus juridiques prévisibles. C’est le cœur même de l’état de droit, qui nécessite cohérence et clarté. Les membres d’une société doivent avoir l’assurance que la loi qu’ils lisent aujourd’hui ne changera pas de manière à modifier leur situation face à la loi, leurs contrats, les revendications de propriété et tout autre droit protégé ou reconnu par la loi. Ce sont des décisions comme celle-ci qui sapent l’état de droit en bouleversant le système qui l’a engendré. 

    Une jurisprudence aussi téméraire est souvent soutenue par ceux qui affirment que ce n’est pas au juge de prévoir le chaos social ou juridique qui peut découler d’une décision particulière. Le devoir d’un tribunal est un devoir envers le droit. Ce n’est pas un devoir envers l’activisme ni envers l’innovation. En effet, le pouvoir judiciaire devrait être la branche la moins innovante du gouvernement et un havre de sécurité pour la cohérence et la retenue. Six juges de la Cour suprême des États-Unis ont trahi ce devoir cette semaine et, ce faisant, ont porté un coup important à un système qui, malgré ses imperfections, a fourni le cadre nécessaire à la croissance économique, culturelle et même morale. Il reste à voir quelle sera l’importance des dommages.

     (Crédit photo : Lorie Shaull. Cette photo a été recadrée et sa taille modifiée. CC BY-SA 4.0.)


    Trey Dimsdale is a Texas-based attorney and an associate fellow at the Centre for Enterprise, Markets, and Ethics, a free-market think tank in Oxford, England. He holds a law degree from the University of Missouri-Kansas City, as well as degrees in ethics and political science.